jungle story
Le cou de la girafe était
trop long pour l’éléphant. Il s’affolait pour rien. On lui avait dit qu’il
pourrait en changer quand il voudrait. Quelle drôle d’idée aussi il avait eu de
commander un cou si long. C’était un éléphant aux idées larges. Et pas comme
les autres. Un éléphant en kit qui voulait de tout. De la girafe, du sanglier,
de la cornemuse, du léopard, de la vipère, du Saint-esprit. C’était un éléphant
aux idées folles. Il avait été banni de sa tribu. Il voulait en créer une
autre. De tribu. Une tribu de jazz éléphants. Un éléphant band. Où le saxo et
la clarinette sonneraient tambours et trompettes. Où le swing coulerait à
flots. Pour le bonheur des typhons et des mégalotropes. Ces étranges choses
venues d’ailleurs dont on ne sait s’ils sont blanc ou rouge au réveil. Mais ce
qu’on a pu observer c’est qu’ils cultivent du petit lait sur leur balcon pour
les oiseaux affamés après une chasse au chat.
L’éléphant band s’était
formé. Il jouait dans les meilleures jungles du monde. Il était acclamé. Par
des badauds ébaudis. Par des publics abasourdis devant tant d’ingéniosité dans
les accords. Devant tant de musique. L’éléphant au long cou de girafe s’était
dit qu’il s’en sortirait mieux en jouant du violon plutôt que de la trompette.
Cet instrument s’accorderait carrément mieux à son organigramme interne. A sa
configuration spatiale. Mais voilà la girafe qui lui avait troqué son cou
contre une peau de panthère refusait de le reprendre. Elle disait échanger,
c’est échanger. Reprendre, c’est n’importe quoi. Alors ce n’était pas possible.
L’éléphant se mit en quête d’un échangeur plus mou. Du cerveau. C’est-à-dire
carrément plus tolérant. Moins à cheval sur les principes. Les principes.
Peut-être une hyène voudrait de son cou de girafe. Que pourrait-elle lui donner
en échange ? L’éléphant se demandait s’il aimait mieux se débarrasser de
son cou, à n’importe quel prix d’échange, ou le garder si l’échange ne valait
pas le coup. Que de questions qui tournaient à vide dans sa grosse tête d’éléphant.
La circonférence était si importante que la question n’arrivait pas à faire une
boucle entière, elle restait en suspens, sans suite, ni réponse. C’était un
problème auquel l’éléphant avait été maintes fois confronté. Il n’avait jamais
réussi à le gérer. Ni le résoudre. Ni le solutionner. De quelque manière que ce
soit. Mais ce n’était pas ce qui lui importait pour le moment. Si sa mémoire
était bonne, la question était celle du cou de girafe, d’un contact éventuel
avec une hyène.
L’éléphant au cou de girafe
acheta « Jungle’s mag », le quotidien de la savane pourvu de
nombreuses annonces. Il y lut qu’un panda échangeait une banane moisie contre
n’importe quel CD des Rolling Stones. Un paresseux qui … l’annonce n’avait pas
finie d’être rédigée. Une citrouille qui s’était trompée de mois et qui
recherchait le mois d’Halloween de toute urgence. Un iguane nain du Mexique qui
faisait une déclaration d’amour enflammée à une escargote, qu’il avait
rencontré dans un train, au cours d’un voyage au Sri Lanka. Décidément, se
disait l’éléphant au cou de girafe, on lit n’importe quoi dans ces pages. Rien
n’était susceptible de l’intéresser. Il utilisa sa trompe pour faire une boule
avec le journal, qu’il mangea sur-le-champ, ne sachant pas quelle serait sa
pitance du jour. Il y avait des problèmes de ravitaillement dans la jungle à
cause d’une épidémie d’êtres humains qui se faisaient nombreux et carnassiers.
Alors l’éléphant au cou de girafe et ses congénères ne mangeaient pas toujours
forcément à leur faim.
L’éléphant pris ses deux
pattes à son coup et sorti fumer hors de la jungle, pour ne pas risquer d’y
mettre le feu. C’était déjà arrivé et il s’était retrouvé en prison. Derrière
des barreaux, au vu et au su des êtres humains qui venaient lui lancer des
cacahuètes. Ça avait été la croix et la bannière pour sortir de là, alors
l’éléphant avait compris la leçon. Maintenant il fumait systématiquement hors
de la jungle. C’est sûr qu’il devait parcourir des kilomètres de brousse avant
d’atteindre la sortie, mais c’était ça ou les barreaux. Et il préférait ça. Il
n’était pas le seul d’ailleurs. Son pote le lion à la crinière de feu, faisait
pareil. Et puis Moustique le porc-épic aussi et Zimbelle la gazelle aussi. Sauf
qu’elle avait arrêté de fumer le jour où elle avait rencontré Cornélius le paon
fou. C’était un drôle de couple, ma foi mais qui s’entendait à merveille.
C’était l’essentiel. Bien que d’aucun répétaient qu’il était dans lactel.
En tirant deux lattes,
l’éléphant vit un arc-en-ciel, il se disait que c’était formidable. Il n’avait
pas plu pourtant. Il n’y avait pas de soleil non plus. A vrai dire, il faisait
nuit. Depuis quelques minutes. Le soleil s’était couché dans la jungle faisant
rougeoyer le ciel dans des tons magnifiques. L’éléphant se demanda alors d’où
pouvait venir cet arc-en-ciel. Sûrement pas de ce qu’il fumait. Il n’y avait
que du tabac. Il se disait quand même qu’il serait temps qu’il arrête. C’est
alors qu’il entendit une rumeur, un vrombissement. Et là, il eut l’idée de se
servir de son long cou de girafe. Il le déploya au maximum et fut surpris de se
retrouver à une hauteur incroyable qui lui permit de voir loin loin loin.
Jamais il n’avait eu l’idée de s’en servir. Il l’avait toujours considéré comme
gênant et peu pratique pour supporter sa grosse tête, assez enclin à lui
procurer des torticolis, mais là il s’affola quand il vit ce qu’il vit. Ce
n’était pas du tout un arc-en-ciel. C’était un FEU. Un feu de forêt. Un feu de
jungle. Un feu destructeur et dévastateur. Aussitôt il éteignit sa cigarette et
lança un cri d’alarme en direction de tous les habitants de la jungle. Avec sa
puissante trompe, il tonitrua un cri, qui se répandit dans toute la jungle,
jusqu’au fin fond des profondeurs, alertant ainsi la population qui était
partie se coucher pour certains, qui était à table pour d’autres, qui faisait
un tiercé, qui jouait au badminton, ou encore qui faisaient leurs devoirs pour
le lendemain matin…
Grâce au cou de girafe de
l’éléphant au cou de girafe, l’alerte fut donnée à temps. Les animaux eurent le
temps de s’organiser, de combattre le feu. La lutte fut âpre et acharnée mais
ils sortirent vainqueurs. Avec juste quelques brûlures et contusions. On ne
déplora pas de morts.
L’éléphant fut le héros de la
jungle.
On l’encensa.
Il ne voulut plus se débarrasser
de son cou de girafe.
***