La chute du prince charmant dura longtemps. Il tenta de se raccrocher au lierre grimpant mais celui-ci était d’une qualité médiocre parce que, acheté en soldes par sa belle-mère chez un fleuriste non agréé par l’association des super fleuristes producteurs de plantes fortes et solides, spécial château. Aussi le prince charmant ne put dans son infortunée chute qu’arracher une feuille de lierre, ce qui n’était pas du tout le but recherché. Mais plus encore, le prince charmant commençait à sentir le vent s’engouffrer dans ses cheveux fort bien brossés. Ses cheveux toujours impeccablement apprêtés avaient fait sa réputation dans tout le royaume et auprès des damoiselles princières.

Le prince charmant continua à chuter regardant défiler les fenêtres et les meurtrières devant ses yeux. Derrière chacune d’entre elles, vivait un personnage. Là, la servante Genièvre, là, le valet Cyril, là, la cordonnière Germinie, là, le chevalier D’Artagnan, là, l’intendant Sansho… Tout ce petit monde derrière les fenêtres ne semblait pas s’apercevoir de la chute du prince charmant. Celui-ci continuait à chuter. Indubitablement. Cheveux au vent.

Le prince charmant prenait de la vitesse. Il croisa la tourterelle du roi qui lui informa que le sol n’était plus très loin. Le prince charmant n’avait plus le temps de prendre une décision. Il n’avait plus le temps de réfléchir. Il ne savait pas inverser le cours du temps. Sinon, il l’aurait fait. Pour éviter de se crasher dans le rosier nain de sa dulcinée. Celle du quarantième étage. Sans ascenseur.

Le prince charmant mélangeait ses idées autant que ses cheveux s’emmêlaient. Il essayait de se remémorer l’erreur qui l’avait fait chuter. Etait-ce quand il s’était trop penché par delà la rambarde du balcon pour épater sa dulcinée ? Ou était-ce quand il avait voulu marcher sur les deux mains, les pieds en l’air, la tête en bas sur la rambarde du même balcon pour épater sa même dulcinée ? Ou était-ce quand il avait fait mine de sauter du balcon au ralenti, pour, toujours épater sa dulcinée ? Toujours est-il qu’à un moment donné, la situation avait basculé en sa défaveur. Et il ne savait toujours pas s’il avait réussi à épater sa dulcinée. Il voulait bien lui demander, mais il était toujours occupé à chuter. Plus que jamais. Vers le bas. Indubitablement. Inéluctablement.

Le prince charmant en avait assez de chuter. Surtout à cause de son beau brushing qui lui avait coûté quelque trois cents sesterces gagnés aux courses de cochons nains du Vietnam, dimanche dernier au cochondrome de Pouilly-les-frites. Ses beaux cheveux qui faisaient toute sa fierté allaient se retrouver en pagaille. Indiscutablement.

Le prince charmant continuait de chuter. Il sentait l’air passer à travers son pantalon de flanelle troqué contre une tarte tatin, elle-même troquée contre une montre de gousset, elle même troquée contre une paire de chaussettes de ski, elle même troquée contre un autocuiseur, lui-même troquée contre un bananier nain, lui-même troqué contre une paire de boucle d’oreilles en argent massif, elle même troquée contre un lecteur DVD, lui-même troqué contre une raquette de tennis. Le prince charmant commençait à trouver fort désobligeante cette situation de parachutiste non agrée par l’association des parachutistes équipés de parachutes pour lutter contre l’atterrissage en force dans les rosiers nains.

Le prince charmant cria.

Du haut de son quarantième étage sans ascenseur, dulcinée entendit le cri du coq qu’elle assimila aussitôt au cri de son charmant prince. Elle se pencha par la fenêtre. Elle vit son charmant prince qui n’en finissait plus de chuter.

Dulcinée savait qu’elle n’aurait pas le temps de faire une tresse de draps comme elle avait coutume de faire, chaque fois qu’elle voulait faire son intéressante. Elle se dit qu’elle ferait mieux de mettre sa tenue de super girl et de courir très très vite dans l’escalier pour rattraper son charmant prince au vol, avant qu’il ne s’aplatisse dans son rosier nain. Ce qu’elle fit. Illico presto. Avec diligence et panache. Plus vite que l’éclair, dulcinée ouvrit la porte en pin cérusé blanc de son armoire, et plus vite qu’il n’en faut pour le dire se retrouva habillée en super girl. Alors elle ouvrit la porte en chêne de sa chambre et se précipita dans l’escalier que son père avait construit lui-même, de ses dix doigts. Elle regarda l’étendue de sa tâche. Puis telle une féline inspira un grand coup, toussa deux fois, cracha une fois, et s’élança à la vitesse de la lumière dans l’escalier.

Un tourbillon plus loin elle se retrouva au rez-de-jardin, ouvrit la porte vitrée et sortit sur le palier. A peine essoufflée, elle leva le nez en l’air pour mieux guetter son charmant prince.

Elle vit chuter un prince tout décoiffé. Elle hurla d’effroi.

Le prince qui arrivait à toute allure, comprit le désarroi de sa dulcinée. Il lui expliqua aussi vite qu’il le put. Du moins le plus rapidement possible, de façon à avoir terminé sa phrase, avant de se vautrer douloureusement et de manière définitive dans le rosier nain de dulcinée. Enfin, il expliqua qu’il retournerait sans faute faire un brushing le lendemain au chant du coq au village voisin. Mais dulcinée ne voulut rien entendre. Capricieuse qu’elle était, elle ne s’arrêtait plus de secouer sa tête en signe de dénégation et se précipita, pour arracher d’un coup vif et preste, le rosier nain au sort funeste qui lui était réservé. Et du coup ne leva pas les bras pour accueillir le prince, qui immanquablement, se crasha tout à côté du rosier nain.

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la chute du prince charmant

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