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des nouvelles de Karine
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4 mai 2009

quinze heures soixante-douze


Sa montre s’était arrêtée sur quinze heures soixante-douze. Il ne comprenait pas comment une telle chose était possible. Il réfléchissait intensément. Quinze heures soixante-douze !
Comment sa montre avait-elle pu s’arrêter ?

Il avait mis une pile toute neuve la semaine précédente. Une belle pile au lithium. Le marchand lui avait dit qu’avec ça, sa montre marcherait pendant un an. Il avait rigolé. Il s’était imaginé sa montre en train de marcher. Il avait fait la réflexion au bijoutier. Ce dernier n’avait pas du tout apprécié. Alors, Maximilien était reparti avec sa belle montre et sa pile toute neuve sans demander son reste.
Il adorait cette montre.

C’était sa vieille tante Cornélia qui lui avait offert. Pour ses quarante ans. C’était sa montre de quarante ans. Une belle montre en acier brossé. Avec des aiguilles. Parce que maintenant, il savait bien lire l’heure. Avant il lui fallait des chiffres, mais maintenant, avec des aiguilles, il arrivait bien à lire l’heure. Son plus grand challenge, c’était d’arriver à l’heure. A ses rendez-vous. Pour ça il n’avait aucun problème. Il n’avait pour ainsi dire jamais de rendez-vous. Il regardait sa montre. Quand il était devant une bouche de métro. Si elle indiquait quatorze heures trente, il se disait, si j’avais eu rendez-vous avec quelqu’un à quatorze heures trente, j’aurais été à l’heure. Pile. Il faisait souvent ça. Où qu’il soit. Il se préparait dans l’éventualité d’un rendez-vous.
Depuis des mois. Des années.

Et aujourd’hui, justement, il avait rendez-vous.
Avec une personne.
Qu’il ne connaissait pas.

C’était une personne que sa vieille tante Cornélia lui avait recommandée. Lui qui était tout seul, depuis tant d’années. Depuis quarante ans. Sa vieille tante Cornélia lui avait dit qu’il était temps qu’il se marie. Alors, sa vieille tante Cornélia avait pensé à sa voisine, Paulette qui avait une nièce. Très jolie à ce qu’on disait. Sa nièce s’appelait Clotilde. Cornélia se disait que Clotilde et Maximilien iraient bien ensemble. Alors elle a dit à Maximilien d’appeler Clotilde. Il l’avait fait. Non sans appréhension. Il ne savait pas s’il devait tout de suite la demander en mariage. Il s’était dit qu’il devait attendre de la voir. Lors d’un rendez-vous. Alors, il lui a proposé un rendez-vous. Elle avait l’air drôlement gentille Clotilde. Elle a accepté le rendez-vous. Il avait dit devant la bouche de métro. A seize heures trente. Elle avait dit d’accord.

Et le jour du rendez-vous, c’était aujourd’hui. Il avait mis son réveil à huit heures trente. Pour avoir bien le temps de se préparer. Il s’était d’abord rasé. Il s’était douché. Il s’était bien savonné de partout. Il savait bien que l’hygiène, c’était hyper important. Dans tous les magazines, c’était écrit. Et il avait mis de la crème sur sa peau. Pour bien l’hydrater. Il sentait bon. Il se sentait le bras, tellement il trouvait qu’il sentait bon. Il avait regardé l’heure. Sur sa montre. Tout allait bien, il était dix heures et quart. Il avait encore du temps devant lui. Avant seize heures trente. Il est resté en peignoir. Pour ne pas se salir. Il s’est préparé un petit déjeuner consistant. Avec un jus de pomme. Il a regardé sa montre. Elle indiquait onze heures quarante. Il avait encore du temps devant lui. Il est allé essayer différentes tenues. Pour trouver celle qui correspondrait le mieux à son humeur. Il voulait une tenue parfaite. Une tenue gaie, mais pas trop. Une tenue pour un jeune homme de quarante ans, sérieux, avec de l’humour, d’une bonne condition sociale, souple, gentil et désireux de se marier. Il voulait une tenue qui dise tout ça. Il avait du mal à se décider. Il regarda sa montre. Elle indiquait quatorze heures dix. Il trouvait que le temps passait de plus en plus vite. Il n’avait pas vu les minutes s’écouler. Il fallait se dépêcher maintenant. Il n’avait plus de temps à perdre. Le costume en flanelle gris. Le costume en lin écru. Le jean délavé. Le pull bleu lavande. La chemise vert amande. La cravate. Pas la cravate. Il essaya tout. Il trouva enfin une tenue. Qui convenait. Il paraissait beau dedans. Il fallait encore trouver les chaussures qui allaient avec. Vite. Il devait se dépêcher.

C’est là qu’il s’est produit quelque chose d’étrange.
Quand il regarda sa montre, elle indiquait quinze heures soixante-douze. Il ferma les yeux. Les rouvrit. Quinze heures soixante-douze. Il se frotta les yeux. Quinze heures soixante-douze. C’était à ni rien comprendre. C’était quoi cette heure ? Il avait rendez-vous. Avec Clotilde. A seize heures trente. Pour la première fois de sa vie. Il avait un rendez-vous. Important. Et sa montre indiquait une heure improbable. Il était défait. Il se rongeait les sangs. Sa montre de quarante ans. Il avait changé la pile. Elle était neuve. Sa montre toute belle. Sa montre. Il allait retourner chez le bijoutier et lui faire sa fête. Il ne pourrait jamais être à l’heure à aucun rendez-vous dans ces conditions. Il regarda sa montre. Elle était arrêtée. Plus aucun signe de vie des aiguilles. Des larmes ont commencé à couler. Maximilien était perdu. Il n’avait plus ses repères. Il ne savait plus quoi faire. Devait-il aller quand même au rendez-vous ? Avec Clotilde. Il était contrarié. Il ne voulait être ni en retard, ni en avance. Il voulait être à l’heure. Pile. A seize heures trente. Comme c’était convenu. Il ne savait pas depuis combien de temps sa montre s’était arrêtée. Elle indiquait invariablement quinze heures soixante-douze. Sa montre était maudite. Elle avait fait exprès. Pour qu’il rate son rendez-vous. L’unique. Le seul rendez-vous de sa vie. Avec celle qui devait être sa future femme.

Il s’est assis sur le lit. Dans sa belle tenue. Il a réfléchi. Un long moment. Un très long moment. Il s’est même endormi. Il a rêvé. Des montres géantes. Il naviguait dessus. En direction du pays des aiguilles. Il était le capitaine du bateau-montre. Il était le plus fort. Au loin, sa promise l’attendait.

Il s’est réveillé en sueur. Il se demanda quelle heure il pouvait être. Il regarda sa montre. Quinze heures soixante-douze. La cruelle ! Il s’est dit tant pis. Il a mis son manteau. Il est sorti. Il a marché. Il n’y avait pas grand monde dehors. Il a continué à marcher. Jusqu’à la bouche de métro.

Une jeune femme était là. Elle le vit arriver.
Elle s’approcha de lui. Elle se présenta.
Elle s’appelait Clotilde.
Elle s’excusa. De son retard. Ou de son avance. Elle avait eu un problème de montre. Sa montre s’était arrêtée.
Elle ne savait plus quelle heure il était.

***


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