la vengeance
Il
se fichait pas mal de la fatigue.
Il
se fichait pas mal du regard méprisant des autres.
Il
s’était fixé un but, et il comptait bien l’atteindre.
Il
partait en reconnaissance tous les soirs. Il avait su où ça s’était passé, et
il n’avait pas hésité une seconde. Il n’avait pas peur. Il vaincrait. Il l’avait
juré sur la tombe de sa grand-mère.
Il
avait réussi à se faire de plus en plus silencieux. Il approchait son ennemi
sans que celui s’en aperçoive. Ça n’est pas venu tout de suite. Il avait frôlé
la mort plusieurs fois. Mais il n’avait pas abandonné. Il essayait de contrôler
au maximum le battement de ses ailes. C’était devenu son challenge. Il arrivait
maintenant à voler en silence. Il s’approchait très près de son ennemi. Il le
frôlait et repartait. L’ennemi ne remarquait plus sa présence. Il avait réussi
à le défier. Il ne lui restait plus qu’à l’attaquer.
Maintenant,
il se sentait prêt. Il s’était suffisamment entraîné. Il était enfin temps de
passer aux choses sérieuses. Il allait enfin agir. Il était sûr de lui.
Ce
serait pour la nuit prochaine.
Le
moment est venu, il s’est élancé. Seul. Avec sa foi. Sa volonté. Son courage.
Sans aucun bruit. Il est arrivé. Son ennemi, le bourreau allait devenir sa
victime. Celui qui avait écrasé sa grand-mère sur un mur sans pitié aucune,
allait souffrir à son tour.
Il
est arrivé près du corps endormi. Il entendait sa respiration. Une respiration
régulière et abandonnée. Une respiration confiante. Une respiration qui ne sent
pas le danger. Et pourtant, le danger était là. Bel et bien réel. C’était lui
le danger. Lui, cet être si petit. Cet être insignifiant. Cet être qui avait
souffert tant de nuits et de nuits pour apprendre à voler en silence. Il avait
travaillé sans relâche pour enfin venir à bout de cette tare qui déterminait
son espèce et qui causait la mort de nombreux de ses congénères. Le bruit. Le
bruit qu’il faisait en volant. C’était sa condamnation à mort. Maintenant, c’en
était fini. Maintenant, il volait sans bruit.
Maintenant
il était là, au-dessus de sa victime. Tout un horizon s’étendait à ses pattes.
Il savourait sa vengeance et se demandait par où il allait commencer. Et puis,
il s’est dit qu’il fallait se mettre à l’œuvre de suite, s’il voulait avoir
fini avant le lever du soleil.
Il
a commencé par les pieds. Il s’est installé sur le gros orteil droit, et il a
sorti sa trompe aspirante.
Et
il a commencé à aspirer.
C’était
un bonheur incroyable, une délivrance. Puis, il s’est posé sur le doigt de pied
d’à côté, et il a aspiré, et il a pensé à sa grand-mère, et a continué à
aspirer. Puis il s’est installé entre deux orteils. Il trouvait que c’était un
défi de se glisser dans cet étroit passage. Plus rien ne pouvait l’arrêter. Il
était gonflé à bloc. Le sang commençait à lui monter à la tête, mais il y était
préparé. Il s’était suffisamment entraîné pour ne pas fléchir, à la dernière
minute, bêtement.
Et
consciencieusement, il a aspiré le sang de chaque orteil, l’un après l’autre.
Du pied droit d’abord, du pied gauche ensuite. Sa victime a commencé à bouger.
Il s’est éloigné quelques instants. Il ne devait pas se faire prendre
maintenant. Il savait que sa mission était kamikaze, et que quoi qu’il arrive,
il ne pourrait résister. S’il n’était pas tué avant la fin de sa mission, il ne
pourrait survivre à telle ingestion de sang. Mais il l’avait décidé ainsi,
alors il n’était pas prêt de s’arrêter.
Le
calme était revenu, il s’est remis à la tâche. Et il s’est posé sur la jambe
droite. Il a continué son travail. Sa vengeance. La jambe droite, puis la jambe
gauche. Il prenait soin de n’oublier aucun centimètre de peau. L’image de sa
grand-mère constamment dans son esprit le portait. Au fil de la nuit, il
sentait ses forces l’abandonner. Malgré l’épuisement, même quand il songeait à
abandonner, il revoyait dans son esprit sa grand-mère. Alors il continuait.
Encore et toujours.
Les
premières lueurs du jour commençaient à poindre. Il avait presque fini sa
tâche. Le corps entier de sa victime n’était plus qu’une boursouflure. Elle
s’était réveillée plusieurs fois. Elle s’était mise à se gratter. Un peu. Puis
de plus en plus frénétiquement. Elle n’avait pas cherché le moustique. Elle
n’avait pas pu. Elle se grattait. A n’en plus finir. Elle était dans un état
incroyable. Elle avait la peau en sang. Elle était agitée. Elle s’était
évanouie. Alors il avait pu continuer son travail. Il ne restait plus beaucoup
de place sur ce corps méconnaissable. Il restait le visage. Les paupières.
C’était son péché mignon. Les paupières. C’était d’une douceur incroyable. Il
fallait faire vite. Il sentait ses forces le quitter. Il sentait qu’il mourrait
bientôt. Cette tâche qu’il avait accomplie était incroyable pour un être aussi
petit que lui. Il avait décidé de mourir sur la paupière. Il a soigneusement
aspiré le sang des joues, des lèvres, du front, des oreilles.
Il
s’est dirigé vers la paupière droite. Il en ferait son lit de mort. Il a sorti
sa trompe aspirante. Il a aspiré. Il s’est couché. Il a souri.
Dans
la chambre, les premiers rayons de soleil ont percé. La porte s’est ouverte. Un
long cri a retenti.
***