la sirène

Il l’avait commandée sur catalogue.
Il commandait tout sur catalogue. Il n’était pas très à l’affût des nouvelles technologies. Internet et tout le reste, ce n’était pas pour lui.
En revanche, il aimait beaucoup commander sur catalogue. Il restait chez lui. Tranquille. Affalé dans son fauteuil préféré. Un grand fauteuil rouge. Et moelleux. Très. Et il tournait les pages du catalogue. Et il choisissait l’article qui lui plaisait. Parfois, il en commandait plusieurs. Il préférait en commander plusieurs. Ça lui coûtait moins cher en frais de port. C’est comme ça qu’il avait acheté sa canne à pêche. Et sa glacière à bières qu’il utilisait quand il partait pêcher le soir avec ses amis. Il fallait bien tuer le temps en attendant que le poisson morde. Alors il était tout fier de sortir sa belle glacière qu’il avait achetée sur le catalogue.
C’était à la page soixante-deux du catalogue qu’il l’avait vue. Il avait hésité. C’était un peu cher quand même. Il avait beaucoup hésité. Mais c’était tellement tentant.
Une sirène.
C’était ses amis qui allaient être jaloux.
Déjà, pour la glacière. Alors pour la sirène !

Et alors, il avait longuement réfléchi. Il s’était dit que ça serait bien d’en avoir une. Il pourrait la mettre dans sa baignoire. Au début. Et puis qui sait, après il pourrait même faire un élevage. Un élevage de sirènes. Il pourrait les revendre ensuite. Il ne savait pas trop comment ça s’éduquait une sirène, ni ce que ça mangeait. Mais ça ne lui faisait pas peur. Il se renseignerait.

Alors il l’a commandée.
Sur le catalogue.
Il n’avait commandé que ça. Il s’était dit que ça allait être encombrant comme livraison. Tous les jours, il allait voir sa boîte aux lettres pour voir si elle était arrivée.
Il était pressé de l’avoir.
Sa sirène. Une belle sirène.
Il ne dirait à personne où il l’avait acheté. Il espérait qu’elle ne serait pas abîmée. Des fois, il n’était pas content des articles qu’il commandait. Des fois, ils arrivaient cassés. Des fois, ils ne marchaient pas. Des fois, ils étaient moins beaux que sur le catalogue. Alors il les renvoyait.

Dix jours après, elle était enfin arrivée.
La sirène.
Dans la boîte aux lettres.
Dans un tout petit paquet. Il était très mécontent. Il avait déchiré fébrilement le paquet. Il voulait vite l’ouvrir. Il s’est dit qu’ils avaient dû se tromper. Qu’ils lui avaient envoyé un poisson rouge. Déjà, il était devenu rouge de colère. Il voulait renvoyer le paquet. Et puis il a ouvert le paquet. Et dedans il y avait deux petits sachets, et deux papiers. Il était intrigué. Alors il a déplié le premier papier. C’était la facture. Il a déplié le deuxième papier. C’était le mode d’emploi de la sirène. Il ne comprenait pas bien. Alors il a lu le mode d’emploi. En entier. Et il était rassuré.
C’était une sirène lyophilisée.

Il n’avait pas vu ça sur le catalogue. Il avait vu la belle sirène. Il avait vu le prix élevé. Mais il n’avait pas vu qu’elle était livrée en sachet.
Il a ouvert le premier petit sachet, le bleu, tout en lisant scrupuleusement les instructions. Il ne voulait surtout pas se tromper. Il a ouvert le deuxième petit sachet. Le vert. Et il a été dans sa salle de bains avec. Et il a rempli la baignoire d’eau. Juste au quart. De l’eau glacée. C’était dans les instructions. Et puis il a versé le premier sachet. Le bleu. Et l’eau est devenue belle. Une étrange eau. Une eau de mer.
Et il a attendu.
Quinze minutes. C’était marqué sur le mode d’emploi. Et il a versé le second sachet. Le vert.
Et il a regardé. Intrigué.
Et elle a commencé à se former. La sirène. Et elle grandissait. Grandissait. Et elle devenait belle. Une belle sirène avec une poitrine de femme. Superbe et ferme. Une queue de poisson. Longue et souple. Il était époustouflé. Il ne s’attendait pas à pareil spectacle.

Elle était plus grande qu’il ne l’avait imaginé. Ils ne l’avaient pas trompé sur la marchandise. La sirène valait le prix qu’il avait payé. Mais elle dépassait un peu de la baignoire. Il pensait qu’elle ne devait pas être à l’aise. Il la regardait. Et maintenant qu’elle était là, il se demandait ce qu’il allait en faire. Il se disait qu’il avait fait une bêtise. Comment allait-il pouvoir prendre sa douche maintenant ?

Il est sorti de la salle de bains un instant pour réfléchir à la situation. Il se demandait s’il allait pouvoir cohabiter avec une sirène. Il se disait qu’il aurait mieux fait de prendre un poisson rouge. Il cherchait une solution. Déjà il se sentait envahi. Il voulait s’en débarrasser. Elle ne lui servait à rien. Il retourna la regarder. Il ne pouvait tout de même pas passer ses journées à regarder une sirène. C’était dégoûtant en fait. Une femme. Un poisson. Un poisson. Une femme. Il ne savait pas trop comment la considérer. Il n’avait pas envie de lui parler. Il n’avait pas envie de la nourrir. Elle ne lui servait à rien. Il n’avait plus envie d’en faire l’élevage. Quelle idée il avait eu ! Il était embêté avec sa sirène. Il avait envie de la frapper. Il voulait la noyer. Il s’est dit qu’il allait la jeter dans le lac. Mais comment allait-il la transporter ? Cette sirène ne lui causait que du souci. Il s’est dit qu’une fois débarrassé d’elle, il réfléchirait à quinze fois avant de commander des articles. Il ne pouvait pas la renvoyer maintenant qu’elle était constituée.
Il la regarda attentivement.
C’est vrai qu’elle était belle. Peut-être qu’il pourrait finir par l’aimer. Qu’il pourrait même en faire sa femme. Il s’imaginait à l’église. Le curé ne voudrait jamais les marier.
Il ne voyait alors plus qu’une solution.
Il la regarda bien. Et puis il sortit.
Il alla dans son jardin.
Il ramassa du bois. Il lui en fallait beaucoup. Il commença à faire un feu.
Il prépara une grande quantité de braises.

***