la princesse aux fraises prend un bain
La princesse aux fraises
aimait particulièrement l’odeur du sucre. Elle n’aimait rien d’autre que le
goût du sucre. Ce qu’elle adorait par-dessus tout, c’était entendre les
cristaux de sucre tomber en une longue cascade scintillante. Elle aimait voir
des nappes entières de sucre. Et elle engloutissait du sucre plus qu’il n’était
raisonnable pour son jeune âge.
La princesse aux fraises
passait ses journées dans le sucrier en porcelaine chinoise, que sa mère lui
avait rapporté d’un de ses voyages lointains où elle allait avec la régularité
d’un sablier en grains de chocolat. Elle aimait s’enrouler sur elle-même et se
laisser choir sur un coussin de chantilly toute enrobée de sucre. Tel était son
plaisir.
Une fois, avec son amie,
Ficeline qui n’avait peur de rien, elle s’était plongée avec délice dans un
bain de miel. Elle ne connaissait pas le miel. C’était Ficeline qui lui montra
ce que c’était. Elles y étaient restées toute une après-midi. Au lieu d’aller à
l’école. La Princesse aux fraises avait trempé dans le miel avec Ficeline,
celle-là même avec qui elle avait chevauché de la barbe à papa toute une
après-midi, à la fête foraine des délices.
Ficeline avait toujours des
idées incroyables et la princesse aux fraises riait aux éclats quand elle était
avec elle. Toutes les deux, les orteils en éventail, collaient à qui mieux
mieux dans ce bain de miel.
Elles pouffaient encore et
encore, en se racontant des histoires de fruits confits.
Ficeline avait toujours des
histoires extraordinaires à raconter. Avant d’arriver au royaume, elle avait
parcouru le monde avec ses parents. D’éminents voyageurs, à pied, à cheval, en
bateau, ou à dos de chameau, parfois en pédalo. Ils avaient vu tous les
continents, rencontré toutes les peuplades, approché les animaux les plus
fabuleux.
Ficeline était formidable.
Elle connaissait tout plein de choses. Elle les racontait à la princesse aux
fraises, ce qui la distrayait de ses journées passées à partager son temps
entre l’école, les cours de claquettes, les leçons de dessins et l’initiation à
la guitare. Non, décidément, la princesse aux fraises n’avait pas le temps de
s’ennuyer. Justement. C’était ce qui lui manquait. Sa maman, une femme
d’affaires aguerrie, partait à la recherche de nouvelles affaires à travers le
royaume et au-delà des océans, dans des contrées lointaines. Elle ramenait
ainsi des poupées aux visages et aux robes colorées, de tous pays. Elle
ramenait aussi tout un tas d’objets de collection qui s’entassaient dans la
vitrine du monde située dans le hall du château. Parfois, quand elle passait
devant et qu’elle avait le loisir de s’y attarder, la reine aux fraises, se
disait que tel objet pourrait être utilisé pour l’image royale, et elle le
sortait alors de la vitrine. Comme le sucrier en porcelaine chinoise.
La princesse aux fraises n’en
pouvait plus de rire, les doigts collés par le miel. Quand elle entendit un pas
familier. Elle le reconnaissait entre mille. C’était le talon aiguille de sa
reine de mère. Qui n’apprécierait certainement pas que sa fille ait fait
l’école buissonnière avec Ficeline. Les parents de Ficeline n’étaient pas aussi
sévères que la reine aux fraises. C’était par ce qu’ils avaient beaucoup
beaucoup voyagés et qu’ils relativisaient les bêtises de Ficeline. La princesse
aux fraises ne riait plus du tout. Elle fit signe à Ficeline qu’il fallait
déguerpir au plus vite. Les deux fillettes en panique firent n’importe quoi.
Ficeline plongea tête la première dans le bain de miel manquant de s’y noyer.
La princesse aux fraises s’extirpa du bain de miel tant bien que mal, et
s’enfuit sur la pointe des pieds jusque dans sa chambre où elle s’efforça de
nettoyer tout le sucre qui lui collait à la peau avec une serviette éponge. Quand sa mère ouvrit grand la porte.
Suivie de son laquais. La princesse aux fraises, toute nue rougit voyant le
laquais qui rougissait tout autant. Mais elle n’eut pas le temps de protester,
la reine aux fraises fondit sur elle en moins de deux, déversant un torrent de
mots tellement important que la princesse aux fraises n’en comprit pas un seul.
Elle regardait sa maman d’un air désolée. Sa maman la regardait d’un air
fâchée. Extrêmement, comme cette fois où elle avait chevauché la barbe à papa à
la fête foraine des délices, au lieu d’être à son cours de dessin.
La princesse ne riait plus du
tout. Elle pleurait maintenant, de se faire gronder, toute nue, par sa maman,
et devant son laquais, qui tout aussi gêné, regardait au plafond, ou à droite,
ou à gauche. Les larmes de la princesse ne roulaient pas, elles restaient
collées à son visage. Sur ses joues. Elles collaient. Elles collaient. La
princesse pleurait et pleurait encore. Elle ne pouvait plus s’arrêter. Elle
pleurait autant qu’elle avait ri. Et plus elle pleurait, plus ses larmes se
collaient à ses joues. Elles s’agglutinaient. Jusqu’à lui faire des joues
énormes. Deux grosses joues translucides de gouttes de larmes. Comme deux
ballons transparents de chaque côté de son visage. Sa maman resta interdite
devant ce spectacle. Elle s’arrêta net de crier et éclata d’un rire tonitruant
qui résonna dans le château et dont on parle encore aujourd’hui. Elle pouvait
voir sa fille adorée complètement transformée par ses cris, et elle ne pouvait
s’empêcher de rire devant les proportions qu’avaient prises, finalement, une
bêtise pas si méchante que ça. Elle pensa que la princesse aux fraises avait
assez pleuré. La reine se tourna vers le laquais et lui enjoignit l’ordre de
lui faire envoyer des serviettes chaudes parfumées au chocolat et de lui faire
préparer un bain d’eau minérale additionnée d’eau de rose pour la princesse aux
fraises. Ainsi qu’une éponge végétale et du savon de citronnier. Et également d’aller
sortir Ficeline du bain de miel, si elle y était encore et de lui envoyer une
gouvernante la nettoyer convenablement, avant de la raccompagner chez elle.
La princesse aux fraises
était toute émue de voir que sa maman n’était pas si méchante que ça et qu’elle
aussi, était capable de rire aux éclats comme elle, la princesse aux fraises. La
princesse ne pleurait plus. Elle était contente. Contrite mais contente. Elle
promit à sa maman de ne plus faire l’école buissonnière à l’avenir. Et elle
sauta dans les bras de sa maman qui ne s’y attendait pas. La reine aux fraises
n’eut pas le temps de protester, et du coup se mit à coller elle aussi. Elle
soupira aussi, sans se fâcher et déclara qu’il était peut-être temps qu’elle
aussi prenne un bain.
Et quelques grains de cacao
plus tard, toutes les deux, la princesse aux fraises et la reine aux fraises,
les doigts de pieds en éventail sirotaient tranquillement des jus de grenade,
dans leur bain d’eau minérale et d’eau de rose, tandis qu’une gouvernante leur
frottait le dos avec une éponge végétale moussant le savon de citronnier.
La princesse aux fraises
était aux anges. Prendre un bain avec sa maman, c’était presque aussi marrant
que de faire des bêtises avec Ficeline.
***